La French Coop à Asnières-sur-Seine (92) est une épicerie coopérative et participative. Tous les membres apporte un petit capital (100€) en échange d'un droit de vote identique pour tous. Il n'y a pas d'employés, les membres font bénévolement des commandes et des créneaux au magasin pour réceptionner les livraisons, mettre en rayons, et faire la caisse pour les autres membres quand ils viennent faire leurs courses.
L'épicerie se présente comme une alternative sociale pour adopter une consommation plus responsable envers les humains et la nature. Ces principes sont louables en théorie, mais leur mise en pratique s'avère extrêmement difficile. En effet, une alimentation respectueuse passe souvent par des produits locaux et biologiques, ce qui entraîne des coûts plus élevés pour la production, le transport, la distribution et même la préparation à la maison. Une approche de distribution plus respectueuse peut également réduire la productivité habituellement observée dans les magasins, ce qui se traduit inévitablement par une diminution de la qualité du service, notamment par des horaires réduits ou une offre de produits plus restreinte.
Les personnes impliquées dans la création du projet sont ou ont été des cadres techniques ou des dirigeants ayant principalement travaillé dans de grandes entreprises en milieu urbain. Cette influence se reflète particulièrement dans la multitude de documents longs et fastidieux formalisant tous les aspects de l'épicerie. On observe également de nombreuses tâches superflues qui surchargent le groupe. Les autorisations d'accès aux systèmes sont fortement segmentées et la communication est quasiment inexistante. Ces pratiques contribuent grandement à diviser le groupe entre ceux qui effectuent les tâches quotidiennes et ceux qui supervisent le travail en donnant des directives, voire des ordres. Ces derniers bénéficient même du privilège de ne pas devoir effectuer de créneaux pour compenser leurs efforts.
Entouré du comité de gouvernance composé de ce type de personnes, le projet s'est articulé autour d'un objectif de croissance ambitieux visant à ouvrir une grande épicerie, inspirée du modèle de La Louve. Profitant de l'engouement post-Covid pour les produits biologiques, la gouvernance a pris des décisions stratégiques clés, telles que l'application d'une marge bénéficiaire assez élevée (30%) sur des produits déjà chers, permettant ainsi d'accumuler des réserves financières. De plus, une coopérative supplémentaire a été créée en parallèle de l'association, incitant les personnes à investir dans des parts sociales afin d'accroître la crédibilité de l'entreprise auprès des banques, des bailleurs de fonds et des employés.
Après la période de confinement liée au Covid-19, certains coopérateurs ne sont plus en mesure de continuer leur engagement dans le projet car ils ont quitté la région parisienne ou retrouvé une activité plus prenante. D'autres réduisent leurs achats en raison de prix jugés trop élevés, certains refusent d'investir dans des parts sociales, et les bénévoles les plus dévoués ont fini par s'épuiser et quitter le projet. Le recrutement de nouveaux coopérateurs a été négligé, ce qui a entraîné une surcharge de travail pour ceux qui sont toujours actifs. Certains coopérateurs consacrent quasiment l'équivalent d'un emploi à temps partiel pour assurer le bon fonctionnement du magasin, et ce bénévolement.
Le projet a du mal à se faire une place dans un environnement parisien très dynamique. Malgré un grand nombre de personnes intéressées, ces dernières ont peu de temps libre. L'épicerie est située à proximité de la gare mais n'est pas forcément sur le chemin des gens, et les prix pratiqués ne permettent pas aux coopérateurs de remplacer entièrement leurs magasins habituels. Ainsi, ils doivent intégrer l'épicerie à leurs habitudes déjà bien remplies. Les statistiques montrent que 80% des coopérateurs génèrent seulement 20% du chiffre d'affaires, ce qui signifie que seuls les 20% de coopérateurs les plus impliqués sont responsables de 80% des ventes.
L'inégalité dans les investissements et les achats représente un risque pour le projet, car la perte de coopérateurs engagés peut avoir un impact significatif. De plus, le recrutement de nouveaux membres est compromis car les coopérateurs les plus impliqués peinent à convaincre en raison de leur situation différente par rapport aux autres. Ces derniers n'ont en effet pas le temps de consacrer à ce recrutement. Cette division en deux groupes représente un défi pour la cohésion et l'intégrité du projet.
J'ai décidé de représenter les coopérateurs les plus engagés au sein du comité de gouvernance et j'ai proposé un changement de tarification en réduisant la marge des produits de façon à ce qu'elle n'excède que 10 points, juste assez pour couvrir la TVA et les éventuelles pertes. Les frais de fonctionnement seraient entièrement couverts par le paiement annuel d'une adhésion, dont le montant serait le même pour tous les coopérateurs. Cette adhésion amènerait les coopérateurs à réfléchir sur leur engagement et leur investissement dans le projet. Ce nouveau système favorise et récompense l'investissement financier, et encourage à recruter davantage de coopérateurs mais au risque de perdre les coopérateurs actuels les moins investis.
En raison du coût élevé de l'adhésion (>100€/an en raison du loyer élevé à Asnières), ma proposition a été rejetée à l'unanimité par le comité de gouvernance, à l'exception de mon vote. Par la suite, après avoir annoncé mon intention de faire campagne pour la présidence de la coopérative en présentant ce projet d'évolution, le comité de gouvernance a tenté de m'empêcher de discuter de mes idées avec les autres coopérateurs. Il semble y avoir un fonctionnement associatif qui vise à obtenir une adhésion totale à la politique des anciens et qui refuse toute forme de débat démocratique.
Après avoir vécu cette situation que j'ai ressentie comme une agression, je ne souhaite plus collaborer avec ces personnes. Nos valeurs sont trop divergentes pour que je m'engage avec eux dans des projets avec eux. Je ne veux plus contribuer à une coopérative qui repose sur l'exploitation de quelques bénévoles au profit d'une majorité qui profite de manière sporadique et à moindre coût/effort d'un tissu sociale qu'ils ne contribuent pas à développer. C'est pourquoi j'ai décidé de me retirer du projet.
Je souhaite toujours développer une distribution alimentaire locale qui respecte les humains et l'environnement, mais je suis principalement retenu par 3 difficultés :
- le loyer à Paris est très cher, il impose une marge conséquente sur des produits déjà plus chers les produits habituels,
- les habitants ont un rythme de vie trop chargé pour investir un peu de temps dans une épicerie, et payer un salarié décemment coûte cher,
- les producteurs sont éloignés à cause de l'aire urbaine parisienne très étendue, et les livraisons dans Paris sont difficiles et coûtent cher.
Ces contraintes obligent le projet à viser une ampleur de distribution équivalente à celle des supermarchés classiques, à l'image de La Louve, où les clients doivent faire la plupart de leurs courses pour assurer une rentabilité suffisante permettant de couvrir les loyers, les salaires et de rémunérer équitablement les producteurs. Cela correspond davantage au fonctionnement de chaînes de magasins comme Biocoop, ce qui modifie le caractère initial du projet. À mon sens, les coûts élevés en milieu urbain rendent les projets d'épicerie participative difficiles, voire impossibles, notamment sans le soutien de la municipalité pour alléger le coût des loyers et subventionner les salaires.
Je reste à l'écoute des opportunités de ma municipalité et proposerais un modèle d'épicerie autogéré Sinon j'espère pouvoir bientôt déménager dans un environnement plus abordable pour ce genre d'initiatives.
Je pense que j'ai raté l'objectif principal de ce projet, qui était de créer du lien social dans le quartier. Je crois que c'est l'objectif le plus important à viser, même avant les autres objectifs basés sur des valeurs morales. En effet, favoriser l'utilité sociale et renforcer les liens entre les personnes rend plus heureux, plus résilients et augmente le potentiel du groupe, ce qui ne peut que conduire à de meilleurs résultats sur les autres objectifs, quelle que soit leur nature. Il est important de discuter et d'aligner notre orientation dans la communauté, mais cela ne devrait pas être une obligation morale imposée à tous. Nous évoluons tous différemment, nous avons des besoins différents, il est donc nécessaire de faire preuve de flexibilité et de s'adapter aux individus.