Ma réponse à la Lettre Publique aux NCP au sujet de NGI

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Sur le plan formel, il me semble que l'efficacité politique d'une lettre ouverte dépend avant tout de deux facteurs : 1. le niveau de responsabilité publique, en particulier médiatique, des décideurs concernés, et 2. le caractère exceptionnel de la situation, c’est-à-dire la gravité de celle-ci combinée à un manque d'autres types d'actions politiques possibles. Or, dans ce cas, j'ai le sentiment que, d'une part, les décideurs sont principalement des experts techniques, peu connus du grand public et peu médiatisés, et d'autre part, qu'une période de consultation publique ouverte à tous a eu lieu il y a deux mois, ce qui me paraît adéquat comme moyen d'action politique.

Il me semble donc que cette lettre rouvre un débat déjà abordé, exprimant un mécontentement généralisé envers une décision provisoire non encore actée. Ceci pourrait potentiellement affaiblir l'impact des lettres ouvertes en général.

En ce qui concerne le fond, notre société semble évoluer vers une centralisation accrue des politiques, des régulations et du financement. Cette centralisation requiert davantage de responsabilité et de transparence. Peut-être que NGI, en soutenant des individus indépendants, rencontre des difficultés à justifier ces financements. En particulier, l'UE s'attend à ce que les investissements produisent des impacts à l’échelle européenne avec une adoption réelle et significative. Il pourrait être intéressant de disposer d’un tableau de bord des indicateurs clés de performance (KPI) pour démontrer la croissance et l’usage des projets NGI.

En revanche, il faut constater que l'adoption reste faible au sein de la communauté. Le graphique sur le financement est explicite : les deux tiers des projets sont à nouveau financés par NGI. Cela peut indiquer un manque d'adhésion de la communauté. Or, l'objectif de ce financement européen est de démontrer une capacité de ne pas dépendre exclusivement de ce financement et de pouvoir générer une activité rentable. Cela confirme mon impression que la communauté technologique continue de se focaliser sur le développement de nouvelles solutions en autonomie, tout en oubliant peut-être que ce financement communautaire doit générer un usage réel et utile. Ne devrions-nous pas mettre l'usage au premier plan de nos objectifs ? Le rapport précise bien que les nouvelles technologies doivent rivaliser avec les usages existants. Il nous faut trouver d'autres solutions, peut-être non technologiques.

Pour conclure, je suggère que la réponse la plus constructive à cette potentielle réduction de financement serait d’admettre que NGI fait face à une concurrence d’autres initiatives sur les mêmes financements. Il serait alors judicieux d’évaluer nos approches et de proposer de nouvelles mesures afin de répondre aux attentes. Une lettre ouverte de protestation envoie un message contraire à une volonté d’adaptation et de collaboration. Que devrions-nous apprendre de cette situation ?


Dans le draft du budget pour 2025 (source de la lettre ouverte), il n'est pas spécifié qui sera financé (ni NGI ni quelqu’un d'autre) ni quel montant sera alloué. Seules des enveloppes globales et par projet sont mentionnées. NGI peut déposer une candidature pour un financement tel que présenté dans ce document, les critères semblent parfaitement correspondre.

Ces financements sont, de manière générale, assez polyvalents : ils ne sont pas uniquement destinés à financer l'open source. Chaque projet peut être éligible s'il répond aux critères partiellement, l'open source étant l'un de ces critères, mais pas le seul. La concurrence est donc ouverte à tout projet visant à "orienter l'évolution de l'internet vers un système ouvert et interopérable".

Je ne comprends pas bien sur quels éléments du projet 2025 la lettre ouverte se base, mais si l’on suppose qu'il y a effectivement une diminution du financement de NGI (bien que ce ne soit pas précisé), alors en examinant d'autres documents, on peut se poser des questions sur les raisons potentielles de cet affaiblissement par rapport aux projets concurrents.

Je ne connais pas les autres projets concurrents, mais il semble que l'UE souhaite favoriser des investissements dans les entreprises ou les consortiums, avec des perspectives d'échelle bien définies.


Sur le site de NGI, il est précisé

the EC announced renewed EU funding for NGI under Horizon Europe.

Je comprends cela comme signifiant que NGI doit désormais soumettre des candidatures aux programmes de financement d’Horizon Europe, en concurrence avec d’autres projets.

Dans le brouillon, NGI n’est pas mentionné, tout comme aucune autre initiative ou projet. Seuls les objectifs et les critères de financement y sont présentés. Pourquoi NGI serait-elle la seule initiative de recherche (RIA) spécifiquement mentionnée ? De plus, NGI est bien présente dans la stratégie 2025-2027.

En ce qui concerne l’open source, le terme apparaît six fois dans le document, réparti sur quatre initiatives de recherche différentes. Il est toujours possible de questionner la répartition, mais rejeter tout en bloc simplement parce que “ce n’est pas suffisant” me semble capricieux au vu des éléments concrets dont nous disposons.

Il y a un fantasme IA mais on peut facilement comprendre que les représentants politiques ne peuvent pas ignorer la hype mondiale à ce sujet. De leur point de vue, il vaut mieux suivre la hype au risque que ça flop. Mais au vu des progrès récents, on peut quand même s'attendre à des innovations non négligeables.

Nous vivons clairement dans un monde qui favorise la marchandisation transactionnelle de tout. Être à contre-courant est nécessairement difficile; c’est un choix personnel et s’en plaindre reviendrait à ne pas l’assumer. Je pense aussi que nous devrions peut-être réfléchir davantage au modèle open source. Par exemple, prétendre que l’open source est un bien commun est trompeur : dans de nombreux cas, il n’existe aucune gouvernance collective, et il n’y a aucun bénéficiaire de ce commun, à part le créateur du bien en question. Il serait intéressant de profiter de la montée des entreprises coopératives (SCIC) en France pour créer des structures développant des biens communs avec une gouvernance collégiale, des financements participatifs, et des subventions de plus grande envergure, avec éventuellement des modèles économiques liés à la consommation de services.

Nous pouvons proposer des projets qui répondent mieux que les leurs aux critères, à condition d’arriver à générer un usage réel.